Jesus Der Film

Focus #4

ven. 7 octobre 201607.10.16
20H30—22H00
76 rue de la Verrerie
75004 Paris
Tarif
Unique : 5€

Programmé et présenté par Théo Deliyannis

En présence de Michael Brynntrup

Pour la première fois en France sera présenté à l’église Saint-Merri l’adaptation « underground » du Nouveau Testament orchestré et interprété par Michael Brynntrup, figure centrale et controversée de la communauté indépendante berlinoise. Jesus der film est un long-métrage monumental constitué de trente-cinq épisodes, tourné en Super 8 par vingt-deux cinéastes de RDA et de RFA au cours de l’année 1987, sur le modèle du cadavre exquis. Pour la première fois en France sera présenté à l’église Saint-Merri l’adaptation « underground » du Nouveau Testament orchestré et interprété par Michael Brynntrup, figure centrale et controversée de la communauté indépendante berlinoise. Jesus der film est un long-métrage monumental constitué de trente-cinq épisodes, tourné en Super 8 par vingt-deux cinéastes de RDA et de RFA au cours de l’année 1987, sur le modèle du cadavre exquis.

JESUS DER FILM
Michael Brynntrup
Allemagne (RFA)
1987
Super 8 numérisé
127’

Jesus – Der Film est un long métrage monumental constitué de 35 épisodes, tourné en Super8 par 22 cinéastes de la RDA et de la RFA au cours de 12 mois. Chaque épisode raconte l’histoire du Nouveau Testament, et la genèse même du projet suit le récit de Jésus Christ recrutant ses apôtres. Le créateur du film, Michael Brynntrup, est une figure centrale et controversée de la communauté indépendante berlinoise. Ses obsessions transgressives ainsi que sa capacité de transporter sous le manteau des centaines de mètres de pellicule Super8 russe à travers la frontière Est-Ouest ont fait en sorte qu’un groupe d’adeptes se constitue autour de lui.

Des individus et des groupes issus de différentes mouvances artistiques reproduisent ainsi le récit sacré, inspirés par l’idée Surréaliste de l’écriture automatique. De l’un à l’autre, ils s’échangent idées, matériel et acteurs, parmi lesquels Michael Brynntrup lui-même, dans le rôle du protagoniste éponyme.

Théo Deliyannis

Pourrais-tu nous dire quelques mots à propos de l’underground allemand des années 80, qui ici est quelque peu méconnu ? Y avait-t-il par exemple des liens entre les cinéastes d’Allemagne de l’Ouest avec ceux de l’Est ?

Michael Brynntrup

Les 80’s étaient même appelées les « Super-80’s » du fait qu’il y avait un grand mouvement constitué de jeunes artistes qui (découvraient et) s’emparaient du Super-8 comme médium de prédilection.  Il n’y avait pas seulement des plasticiens, mais également des musiciens et des performeurs, et je dirais plus, il y avait un mouvement politique qui s’était emparé de ce médium comme leur propre moyen de documenter leurs luttes pour l’occupation d’immeubles désaffectés ou leurs actions contre Atomkraft (l’équivalent d’Areva en France) de façon indépendante.

Cette vague des « Super-80’s » était internationale : l’effervescence était commune dans d’autres métropoles, comme Londres, Paris, ou New York. Dès le milieu des années 80 ces différents milieux se rencontraient par le biais de festivals de films Super 8 ou bien par des tournées de programmes (dont la nouvelle terminaison serait sans doute le « réseautage »). Même à Berlin-Est on pouvait trouver quelques personnes travaillant en Super 8, mais évidemment dans des conditions différentes : il n’y avait par exemple pas de pellicule sonore. Le Super 8 était considéré comme un format amateur (comme dans les pays occidentaux), ce qui avait l’avantage, dans l’Est, d’une absence de contrôle étatique dessus.

Quand je suis arrivé dans ce microcosme qu’est Berlin-Ouest, j’étais très intrigué par l’étrangeté de cette ville coupée en deux, ce qui m’a amené à beaucoup voyager à Berlin-Est où je me suis fait de nombreux amis. J’y ai aussi rencontré quelques cinéastes, à qui j’ai proposé de participer au projet Jesus Der Film.

TD

Peux-tu nous parler de la genèse du film, comment cette idée t’est venue, et comment la forme collective du film s’est-elle décidée ?

MB

Durant les années 80, en plein post-modernisme, non seulement l’autorité était déconstruite, mais la notion même d’auteur. Quand je suis arrivé à Berlin en 1982, j’ai travaillé avec des amis au sein d’un collectif, le Oyko-Group. Au sein de ce groupe, on a essayé diverses méthodes de créations collectives. Mon but était de faire un film qui soit à la fois l’œuvre d’un certain nombre de cinéastes (tous présents avec leur subjectivité et leurs idées parfois différentes) et un long métrage narratif comprenant une seule trame narrative. Mon éducation chrétienne m’a bien sûr mené vers Jésus, « La Plus Grande Histoire Jamais Contée » (pour reprendre le titre d’un autre film sur Jésus).

La spécificité de cette histoire étant sa construction par épisode, ce qui en faisait un matériau parfait pour un film collectif. Quand j’ai commencé à en parler à mes futurs collaborateurs j’étais très agréablement surpris par les réactions très positives de ces jeunes artistes laïques.

Je pense que cette idée a amené d’autres choses, comme la révolte contre l’autorité et un profond désir d’une liberté totale de création. Le sentiment à l’époque étant « tout est permis » [Anything Goes].

TD

Comment as-tu réussi à recruter un tel nombre de cinéastes ? On imagine qu’il y a du avoir quelques difficultés relationnelles entre certains d’entre eux, connaissant le milieu du cinéma expérimental…

MB

Je connaissais assez bien le grand milieu de ce petit format qu’est le Super 8, que ce soit dans les festivals ou tout simplement à Berlin. En fait, je n’ai pas demandé à tellement de cinéastes, je n’ai demandé qu’a des amis un peu « spéciaux » : ceux qui avaient le même esprit humoristique, et ceux qui appréciaient la saleté du Super 8. J’ai même demandé à des non-cinéastes, comme des critiques ou bien des éditeurs, car j’appréciais leur intérêt pour la culture underground. Je pense qu’il était assez important, pour la bonne réussite du projet, qu’une seule personne supervise le tout. Et les cinéastes participants ont accepté cette façon de faire, en tant qu’elle permettait d’aller au bout du film. Du coup, il n’y a pas tellement eu de discussions entre les cinéastes, surtout parce que l’invention surréaliste de l’écriture automatique était une partie intégrante du projet : personne n’était au courant des autres épisodes réalisés, exceptés des quelques liens entre ceux-ci, qui étaient indiqués par moi-même.

TD

Pourrais-tu nous parler du tournage du film ?

MB

Le tournage a eu lieu dans toute l’Allemagne : Cologne, Hambourg, Munich, d’autres villes et surtout Berlin (Est et Ouest). Les premières prises datent de l’hiver 1984, et les dernières ont été effectuée deux semaines avant la première du film à la Berlinale en février 1986. En 2014 a été publié un livre sur la genèse de Jesus Der Film1, où nous avons reproduit le journal de bord tenu pendant tout le projet : on pourra y noter que j’ai passé, pendant l’année et demie qu’a pris le projet, presque chaque seconde de mes journées à préparer, tourner, monter et finir le film.

Le film n’avait pas de budget ; j’ai passé clandestinement des cartouches Super 8 peu coûteuses depuis Berlin-Est afin de les distribuer aux différents cinéastes. Certaines bobines étaient développées à la main dans ma cuisine. A la fin du projet j’étais un cinéaste vraiment pauvre. Quand le film a été sélectionné à la Berlinale, une institution publique nous a donné un peu d’argent afin de tirer une copie (2400€ à peu près), ce qui m’a permis d’organiser une tournée du film dans une quarantaine de villes allemandes. Après cette tournée je n’étais toujours pas riche, mais au moins je n’avais plus de dettes.

TD

Comment le film était-il reçu lors de ses projections ? J’ai vu quelque part qu’il fut montré lors d’un festival du film religieux – et maintenant il va être montré dans une église parisienne : quelles ont été généralement les réactions du public chrétien ?

MB

Après la Berlinale et durant la tournée du film il y a eu diverses réactions : un magazine catholique a mentionné mon film comme étant « réalisé par le Diable », tandis que d’autres journaux présentaient le film comme « révolutionnaire ». On peut dire que le film a été pour le moins controversé.

Il n’y a pas de réaction homogène de la part des publics religieux – les chrétiens de nos jours ont appris des débats sur les caricatures religieuses, notamment par rapport à l’Islam et l’État Islamique. Il semblerait que de nos jours, dans notre culture occidentale, la liberté d’expression ait une valeur plus importante que la foi et le sentiment religieux.

TD

Pourrais-tu nous indiquer quelques éléments pouvant nous aider à appréhender ton œuvre en général, et aussi la façon dont Jesus Der Film s’intègre à ta filmographie ?

MB

Je fais des films assez variés ; chaque film doit être différent des précédents. Rétrospectivement, je remarque que selon les périodes, j’étais intéressé par certaines thématiques. Mes premiers films étaient en lien avec mon héritage familial et allemand ; j’ai pu par exemple faire un film sur le Mur de Berlin. Peut-être que Jesus Der Film appartient à cette thématique-là. Puis j’ai fait quelques films sur l’homosexualité, par exemple autour du SIDA, débutant vers 1989 avec un cycle de film titré Death Dances [Danses Macabres], et d’autres films avec du « contenu gay » comique. Au début de ce millénaire, et pendant plus de dix ans, j’ai beaucoup voyagé en Asie où j’ai réalisé beaucoup d’installations et de films en lien avec la vie et la culture de ce continent. Je suis toujours intéressé par les nouveautés technologiques (j’ai par exemple fait des films « interactifs » sur internet).

Globalement, je dirai que mes films sont très personnels puisqu’ils sont très clairement réalisés par un être humain identifiable, et tous mes films tentent d’atteindre et de transgresser des frontières, qu’elles soient techniques ou bien psychiques.

1

BRYNNTRUP Michael, Jesus – Der Film – Das Buch, Vorwerk8, Berlin, 2014

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