75005 Paris
Séance faisant partie du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris.
Première partie : MON PAPA EST POMPIER À PERPIGNAN
Le covid-19 aura modifié de manière significative nos conversations et nos interactions en général. Converser est devenu source de danger : on a contrôlé le volume de notre voix, limité l’utilisation intempestive de labiales, parlé à plusieurs mètres de distance jusqu’à rendre inaudible notre parole… Cette programmation, pensée comme un éloge des postillons, sera une façon de nous réconcilier avec les cavités buccales, à réapprendre lentement à parler, à contrôler nos déjections oratoires. La parole reviendra à nous, tel.les des nouvelleaux-né. es : par le babil et par le cri.
Programmation
Philipe Bordier
Hugo de Vries
George Barber
Valie Export
Wojciech Bruszewski
Davorin Marc
Tony Tonerre
Emilie Jouvet
Ariane Yadan
Ernst Schmidt jr.
balbutiements de la parole, cris primaux et postillons
le covid-19 aura modifié de manière significative nos conversations et nos interactions en général. converser est devenu, pendant un temps du moins, source de danger : on a fait attention au volume de notre voix, limité l’utilisation intempestive de labiales, parlé à plusieurs mètres de distance jusqu’à rendre inaudible notre parole… en se couvrant, la conversation s’est troublée, créant parfois quelques échanges difficiles et pleins de mal-entendus.
le cinéma, heureusement, possède son propre masque de protection : l’écran. celui-ci nous permet de contempler des bouches à l’air libre de plusieurs mètres de large tout en sécurité.
cette programmation pensée comme un éloge des postillons sera une façon de nous réconcilier avec les cavités buccales, à réapprendre lentement à parler, à contrôler nos déjections oratoires. la parole, petit à petit, reviendra à nous, tel. les des nouvelleaux-né.es : par le babil et par le cri. à travers une sélection de films singuliers de provenances et de contextes parfois très différents les uns des autres, nous passerons d’une parole contrainte à une parole qui finit par se dégager totalement.
êtes-vous malades ? sera la question qui vous sera posée dès le début de séance — en espérant que la réponse y sera négative. c’est aussi le titre d’un film de Philipe Bordier, figure du cinéma souterrain français, honteusement oublié, dont l’œuvre reste encore à redécouvrir. il a été programmateur au grand festival SIGMA à Bordeaux, puis a fondé la coopérative informelle Ciné-Golem — en parallèle, il écrivait, sur le cinéma mais aussi des romans, dans des revues, et il réalisait de courts films, souterrains au début, puis pour la télévision. le film, quasi science-fiction expérimentale, nous montre une troupe de comédiens s’entraînant à crier face caméra. un homme, assis, devient le reflet exact de notre position de spectateurices pour le restant de cette séance.
nous passerons ensuite à Santin de Hugo de Vries, film particulièrement mystérieux d’autant qu’aucune information autour de ce film n’existe à ce jour, de l’aveu du distributeur. sur fond de Chick Corea, un jeune homme lutte ardemment contre son démon intérieur à tendance néo-nazi.
première tentative de cri libérateur : India Shouting Match du vidéaste britannique George Barber, qui s’impose comme un parfait anti-manuel de la distanciation sociale. Barber filme ici un dispositif qu’il a lui-même mis en place, à savoir un affrontement entre deux crieurs, chacun sur des chaises se déplaçant sur des rails. plus fort est le cri, plus longue est la présence du crieur dans le cadre. selon les respirations de chacun, un champ contre-champ se met en place entre les deux crieurs. si l’un des deux reste silencieux, il est expulsé du cadre.
puis, une pause pour nos oreilles, le film de Valie Export, i turn over the pictures of my voice in my head, tiré d’une performance de l’artiste. dans ce film, elle lit un texte tout en assistant de manière synchrone à l’image de ses cordes vocales en action. tandis que le texte élabore une approche théorique voire métaphorique de la parole, nous sommes constamment ramené.es à la matérialité même de sa voix, produisant alors une situation de conflit entre le texte lu et l’image.
Woycezch Bruszewski tente de mettre en pratique le texte de Valie Export, dans son film à influence structurelle YYAA. chaque bout de cri est associé à un éclairage de la pièce et de l’acteur. le montage permet d’accoler ses différents bouts, et donc de suturer la voix, formant alors un long cri sans respiration long de quelques minutes.
des cris moins solitaires cette fois-ci, avec Dolgi AAAAAAA de Davorin Marc, un film numérisé spécialement pour cette séance. le cinéaste a réalisé des dizaines de courts films en super 8 mm dans les années 1980, sortes de journaux filmés au montage court et précis. ici, deux amis, dont le cinéaste, s’échangent un micro et expérimentent de façon très enfantine avec le cadre et l’enregistrement basse qualité sur piste magnétique.
Le rire de Tony Tonerre, figure fantôme de l’underground parisien des années 2000, qui, à mesure que l’on se rend compte qu’il est forcé (son rire), provoque un malaise croissant.
puis, Mademoiselle d’Émilie Jouvet, un court film basé sur un poème de et lu par Estelle Germain sur les violences physiques et verbales envers les femmes dans la rue. loin de n’être qu’une simple documentation, le film invente son propre souffle, autonome de celui de la poétesse-lectrice.
enfin, Scream Queens d’Ariane Yadan s’inspire des castings mis en place pour recruter des «hurleuses» pour des films d’horreur. plusieurs candidates défilent, chacune habillée de façon différente, et performe son propre cri qui, comme chacun sait, est le reflet le plus profond des tripes.
à la fin de ce programme, nous aurons enfin le droit de nous exprimer. le film PROST, réalisé par Ernst Schmidt jr., un proche des actionnistes viennois, a été conçu pour être interactif. projeté en pellicule, il ne consiste qu’en une rayure blanche qui parcourt le film verticalement. par moments, celle-ci touche un bord ou l’autre de l’écran : c’est à ce moment-là que nous devrons crier, vers l’écran PROST !, l’équivalent d’à la vôtre en français, mais avec plus de labiales.
–Théo Deliyannis