La Machine Cinéma

Focus #2

jeu. 5 octobre 201705.10.17
20H00—22H00
Cinéma l'Étoile
Tarif
Entrée libre

Programmé et présenté par Stefano Canapa et Julia Gouin (L'Abominable)

En présence des réalisateurs

Cette séance est lʼoccasion de mettre en lumière les relations entre la technique cinématographique et les démarches artistiques de plusieurs cinéastes cultivant les possibilités du support photochimique aujourdʼhui. De la prise de vue au développement, en passant par les différentes techniques de tirage et jusquʼà la fabrication artisanale du support film, cʼest tout un éventail dʼapproches possibles qui sera donné à voir et, parallèlement, commenté. Séance en présence de plusieurs de ces réalisateurs, membres des laboratoires cinématographiques artisanaux LʼAbominable ou MTK.

Projector Obscura
Peter Miller
États-Unis
2005
35 mm
10'
Images inédites
David Dudouit
France
2015
16 mm
Durée inconnue
Quatrième fraction
Guillaume Mazloum
France
2015
16 mm
5'30
Septième fraction
Guillaume Mazloum
France
2015
16 mm
7'
A radical film
Stefano Canapa
France
2017
35 mm
2'40
Projector Obscura au cinéma l’Étoile
Film collectif
France
2017
35 mm
Pronostic vital engagé
Clovis Lemaire Cardoen, Joyce Lainé, Loïc Verdillon et Étienne Caire
France
2017
16 mm
30'

Au tout début du cinéma, l’absence de labo de type industriel obligeait le cinéaste à se faire l’ouvrier de sa production à toutes les étapes y compris le développement et le tirage. La caméra des frères Lumière, dont on sait souvent qu’elle servait également de projecteur, servait aussi de tireuse et les opérateurs de la firme, lors de leurs déplacements, savaient filmer, développer le négatif, exposer et développer puis projeter une copie positive.1

Sans un souci didactique, nous avons conçu cette séance comme si l’on avait à « déplier » la machine cinéma2 sous les yeux du spectateur. De la prise de vue au développement, en passant par les différentes techniques de tirage et jusqu’à la fabrication artisanale du support, les œuvres présentées dans ce programme nous permettront de retracer peu ou prou la chaîne classique de fabrication d’un film tout en mettant en exergue ses détournements possibles. Parmi ces films, quatre ont été réalisés avec le concours de l’Abominable, un laboratoire partagé, dédié aux techniques de l’image argentique situé à La Courneuve. À ceux-là s’ajoute un film de Peter Miller, cinéaste-laborantin nomade et la performance d’un quatuor de cinéastes travaillant à l’atelier Mtk de Grenoble.

Il nous a semblé évident d’élargir l’invitation qui nous a été faite par le CJC à l’atelier Mtk qui au début des années 1990 a impulsé la naissance d’un véritable réseau de laboratoires cinématographiques d’artistes aujourd’hui très dynamique et hétéroclite. Le réseau Filmlabs compte désormais plus d’une quarantaine de structures disséminées partout dans le monde. Le principe qui anime ces lieux, pour la plupart gérés par des collectifs et plasticiens est la mise en commun des outils de production du cinéma. Aujourd’hui plus que jamais, dans un contexte où la survivance même du support photochimique a été mise en danger, la réappropriation de l’ensemble du processus de fabrication d’un film – bien au-delà du simple développement en spire – ouvre un vaste champ de possibles. Toute une panoplie d’expériences autrefois verrouillées par l’industrie est ainsi rendue accessible. Plus qu’une simple économie, cette autonomie permet, en se confrontant concrètement à la fabrication des images, d’inventer des écritures et formes singulières. Par ailleurs, en devenant dépositaires d’un savoir faire qui est en train de disparaitre, ces lieux deviennent de facto les conservatoires vivants des techniques cinématographiques.

Avant le début de la projection des films, le public sera convié à participer à un tournage réalisé suivant le modèle du dispositif utilisé par Peter Miller pour son film Projector obscura. Ce tournage participatif se déroulera dans la salle même du cinéma l’Étoile. Le film tourné sera ensuite développé sous les yeux du public, puis projeté avant la fin de la séance. L’idée est de proposer aux spectateurs l’expérience directe de cette machine cinéma dans son acception la plus simple : lumière + émulsion photosensible + révélateur + lumière.
Projector obscura, de Peter Miller prend comme point de départ l’extrême similitude entre le mécanisme d’une caméra et celui d’un projecteur. En effet, si la cabine de projection est correctement obscurcie et la salle ou l’écran sont suffisamment éclairés, la pellicule vierge installée à la place du film à projeter sera alors impressionnée par la lumière passant par l’objectif dans le sens inverse à son utilisation orthodoxe.

David Dudouit, dont nous montrons des images inédites, a filmé des années durant en utilisant exclusivement la technique de l’image par image. Les 24 images par secondes que nous voyons projetées correspondent souvent à plusieurs heures voir des jours entiers de réalité. La perception du temps et de l’espace s’en trouve profondément modifiée. De cette pratique singulière s’exprime un rapport sensible, presque magique, à l’acte cinématographique. La Quatrième Fraction, de Guillaume Mazloum a été réalisée en utilisant une tireuse optique (truca) – une machine qui permet de dupliquer un film en le re-filmant photogramme par photogramme. Ici, au delà d’un travail sur la cadence des images, il a fallu deux générations de copies pour aller chercher et ramener au premier plan des détails présents dans la séquence enregistrée à la prise de vue. À chaque nouvelle génération, l’image a révélé d’autres textures et les aléas de l’utilisation de la machine ont apporté des nouvelles imperfections.

Contrairement à la Quatrième Fraction, la Septième Fraction est la retranscription fidèle de ce qui a été impressionné sur le négatif lors de la prise de vue. Il s’agit ici d’un tirage par contact classique, tous les effets ayant été réalisés lors du tournage. À l’aide d’une caméra Bolex, chaque photogramme a été exposé pendant un intervalle assez long. Une fois le film terminé, il a été rembobiné et exposé une deuxième puis une troisième fois.

Pour réaliser A Radical Film, Stefano Canapa a utilisé une technique de tirage particulière, le tirage à plat. Comme pour les rayogrammes réalisés par Man Ray, cette technique consiste à placer un objet directement sur la pellicule et à l’éclairer. une fois le film développé on obtient ainsi l’image négative (ou l’envers de l’image – pourrait-on dire) de cet objet. En l’occurrence ce film a été fabriqué avec des radis noirs : hachés et découpés en lamelles puis patiemment déposés à même le film et insolés. À l’ère du tout numérique, c’est un retour aux racines du cinéma !

Pronostic Vital Engagé, performance pour quatre projecteurs 16mm manipulés en direct, est inspiré par l’école « émulsion non-sensible » du professeur Guillaume Ferry. Pour fabriquer leurs images, les quatre cinéastes ont joué des contraintes du procédé autochrome des frères Lumière : une image unique, fragile et difficile à reproduire, presque anti-cinématographique. la recherche technique porte ici sur la fabrication d’un nuage de grains colorés ultra fins et du vernis de fixation de la matière sur la pellicule transparente. Les projecteurs et les projectionnistes étant installés dans la salle, ils deviennent partie intégrante du film : on peut tout aussi bien regarder l’écran que détourner le regard vers la source de lumière…

Buona visione !


Stefano Canapa et Julia Gouin pour l’association L’Abominable

1

La machine cinéma (La macchina cinema) est le titre d’un film collectif réalisé par quatre cinéastes italiens dont Marco Bellocchio et Silvano Agosti, à la fin des années 1970. C’est aussi le titre d’une exposition qui a récemment eu lieu à la Cinémathèque Française sous la direction de Laurent Mannoni.

2

Citation extraite de l’article « Les laboratoires cinématographiques d’artistes perspective historique » (2009- 2012) Nicolas Rey, consultable sur le site filmlabs.org.

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