La ville, c'est la fiction : fiction critique, déviation documentaire

Focus n°8

mer. 14 octobre 201514.10.15
20H00—22H00
Les Voûtes

Programmé et présenté par Gabrielle Reiner

« .•. trouver dans tous ces mouvements de foules le rythme, retrouver le départ de la fiction parce que la ville c’est la fiction [ … ]. Elle peut être belle à cause de ça et ceux qui l’habitent sont souvent magnifiques et pathétiques [ … ]. » (Jean-Luc Godard). Avec des films de Marc Moret, Michèle Waquant, caroline Pellet, Jean-Luc Godard et une conférence illustrée d’Erik Bullet.

Spum Diaporama
Marc Moret
France
2013
Numérique
6'
212 rue du faubourg Saint Antoine
Michèle Waquant
France
1989
Vidéo numérisée
16'30
Les Bruits Blancs
Michèle Waquant
France
1990
Vidéo numérisée
16'
Surfaces idéales (la déesse plus ou moins effacée )
Caroline Pellet
France
2015
Numérique
10'
Lettre à Freddy Buache à propos d’un court-métrage sur la ville de Lausanne
Jean-Luc Godard
Suisse
1982
Vidéo numérisée
10
Traité d’optique 2
Érik Bullot
France
2015
Conférence illustrée
45'

Cette séance s’organise en deux parties. Tout d’abord, en adoptant a priori un style documentaire, cinq courtmétrages fictionnalisent la ville. Très vite l’enchaînement en apparence absurde des images, les surimpressions, le montage discrépant ou le commentaire insolite incitent à créer des lieux utopiques, à s’introduire dans des univers imaginaires. Grain sonore, cacophonie visuelle, lumières et sons hétéroclites de la cité induisent un flou interprétatif, « artistique », où tout est envisageable, car tout est réversible.
Les films de Marc Moret, Michèle Waquant, Caroline Pellet et Jean-Luc Godard produisent d’eux-mêmes un lieu à habiter. Ce n’est pas le cinéma qui informe sur la ville, mais le film qui est à l’origine de sa création. La ville devient le début de la fiction. Le génie des lieux est un fantôme « en mouvement » qui propose au spectateur une cité à bâtir à partir de ses propres composants. Ces vues et ces écoutes sont comme une invitation au voyage urbain.
Filmer c’est proposer une vision du monde, en construire une représentation. Il ne s’agit jamais du réel. Ces oeuvres ne présentent pas une oeuvre en soi, mais s’analysent comme création en cours. La distance prise avec les normes fait tituber le genre documentaire. Celui-ci dérape, se mystifie, se pare de myriades d’éventualités… Si l’architecture dialogue avec l’urbanisme, l’urbain est celui qui habite la ville, mais qui est aussi courtois. Quel espace de sociabilité, quelle forme de courtoisie entretiennent ces sons et ces images ?
Comment détourner les règles attendues, les convenances narratives forcément « invivables », « inhabitables » ? En proposant au spectateur les interstices, les entrelacs entre deux plans où se dessinent des romances en devenir, le genre documentaire bascule vers le projet (en relation étroite avec le projet architectural). Le spectateur se fait son propre film, se raconte sa propre histoire…
La conférence illustrée, présentée en deuxième partie, consolide ce postulat : Érik Bullot réutilise les fragments d’un de ses films tournés à Paris. Chaque séquence projetée s’accompagne d’un commentaire. La conférence est émaillée de divers documents visuels et sonores venant tour à tour informer et déformer la fiction originale. De nouveaux récits s’actualisent. On assiste, là encore, à une révolution des images. Le discours performatif de l’artiste se joue avec humour et ironie de l’autobiographie en usant de l’art du conteur et de la technique du repentir. Le nouveau montage qui en découle interroge les origines et les possibles avatars d’un film : l’oeuvre et son analyse se critiquent mutuellement, révèlent leur aspect affabulateur. Le cinéaste adopte à chaque performance un parcours urbain différent. Il offre à chaque fois une déambulation inédite, une flânerie particulière qui privilégie les chemins de traverse.
Le titre de la séance reprend les propos de Godard qui, à la fin de son film, énonce de façon programmatique : « … trouver dans tous ces mouvements de foules le rythme, retrouver le départ de la fiction parce que la ville c’est la fiction […] . Elle peut être belle à cause de ça et ceux qui l’habitent sont souvent magnifiques et pathétiques […]. »
— Gabrielle Reiner

Spum Diaporama
Marc Moret
France
2013
Numérique
6'

Une suite d’images fixes sont jetées sur un écran telles des cartes à jouer. Photographies personnelles d’un appartement et d’espaces d’exposition, notes, croquis, captures d’écran où sont visibles des actualités télévisées, cartes postales anciennes et modernes de Paris s’empilent, se chevauchent, entrent en correspondance. Le fond de ce diaporama singulier est, quant à lui, composé d’images en mouvement filmées dans la pénombre. Images fixes et images animées cadrées, décadrées et recadrées forment un long palimpseste à décoder à la manière d’un rébus.

212 rue du faubourg Saint Antoine
Michèle Waquant
France
1989
Vidéo numérisée
16'30

Soit la cour d’un immeuble, rue du Faubourg Saint-Antoine et, au fond, un mur à pignon pointu. Ce mur se présente comme une peinture à la composition minimaliste et à la matérialité expressionniste. Soit la fenêtre de mon appartement donnant sur l’immeuble d’en face, où ma voisine fait un ménage intégral jour après jour. Cet espace devient le théâtre d’une micro-saynète à la limite de l’absurde.

Les Bruits Blancs
Michèle Waquant
France
1990
Vidéo numérisée
16'

Cette vidéo se structure autour d’une polarité composée du périphérique parisien et du fleuve Saint-Laurent, qui encercle Montréal. Deux espaces insulaires et complémentaires sont ainsi figurés. Ce paysage urbain et cette nature urbanisée forment un écoulement sans fin, en constante transformation, en boucle sur lui-même.

Surfaces idéales (la déesse plus ou moins effacée )
Caroline Pellet
France
2015
Numérique
10'

Des images entremêlent successivement carrelages cassés, intérieur d’un dolmen, silhouettes de visiteurs, ruelles envahies de végétation. Des bribes de visites guidées se font entendre en français et en espagnol. Une histoire de l’art peu à peu s’édifie, entre peinture du XXe siècle et bas-reliefs celtes : elle cimente, à la manière d’une mosaïque, les fragments visuels. Les arcanes d’un étrange palais idéal lentement se dévoilent ; avant-plan d’une ville invisible.

Lettre à Freddy Buache à propos d’un court-métrage sur la ville de Lausanne
Jean-Luc Godard
Suisse
1982
Vidéo numérisée
10

Une commande sur et de la ville suisse devient prétexte à une critique des enjeux créatifs à l’origine d’un film. L’objet documentaire se transforme en une lettre filmée à Freddy Buache, vieil ami et condisciple
de Godard. Le film désarticule les genres et déplace les logiques préétablies. Son auteur brouille les limites entre oeuvre en cours et oeuvre finie. On voit le cinéaste armer un projecteur comme s’il allait nous montrer le film abouti, puis des plans du tournage cohabitent avec des images archétypales de métropole (rails, bouches d’égout, badauds…). On y fait des digressions sur l’urbanité. Un train à quai. Des bateaux amarrés. Des images saccadées de passants. Des interrogations et remarques sur la couleur, les formes, les lignes. « De la pierre des urbanistes, on tombe sur la pierre des rochers » affirme Godard, puis on plonge dans une bastide à imaginer plutôt qu’à identifier. Du documentaire, on s’évade vers la fiction, un récit peut se construire.

Traité d’optique 2
Érik Bullot
France
2015
Conférence illustrée
45'

Comment reprendre, restaurer ou rafraîchir un film ancien ? Dès que l’on raconte le procès d’un film, n’assiste-t-on pas à une déviation de son cours ? Est-il possible d’imaginer une restauration créatrice, proche du remake, en vue d’actualiser la virtualité d’un film ? Telles sont les questions qui animent cette conférence illustrée dédiée à un film d’étude oublié, Traité d’optique (1987), inspiré des premières pages d’Esthétique de la disparition de Paul Virilio.

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